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Sécheresse 2022 : comment réagir en élevage laitier face aux aléas climatiques?

Actualité31/10/2022Agriculture Biologique, Fourrages, Nutrition, PrairiesBovins lait, Bovins viande

Patrice PIERRE, spécialiste des prairies à Idele, a donné une conférence sur le thème de l’adaptation des élevages aux aléas climatiques lors de la journée portes ouvertes Reine Mathilde qui a eu lieu au Gaec Guilbert. Les principaux leviers qu’il a développés portent sur la préservation du potentiel des prairies, la diversification des couverts, le report des stocks sur pied et l’implantation de dérobées.

Patrice PIERRE travaille à Beaucouzé, où il coordonne différents projets sur la gestion du pâturage et des prairies, l’expérimentation fourragère, l’autonomie. Lors de son intervention aux Portes ouvertes Reine Mathilde de cet automne, il a précisé les leviers disponibles dès aujourd’hui et les pistes de travail pour le futur pour adapter les élevages aux aléas climatiques.

 

L’analyse des données météo des dernières années nous montre que la production d’herbe sur nos prairies du nord-ouest pourrait rester égale en volume sur l’année mais se décaler vers une pousse plus précoce au printemps et plus prolongée à l’automne. L’été sera caractérisé par un arrêt de végétation plus prolongé, avec des épisodes plus fréquents de canicule et une sécheresse de plus en plus persistante. Face à ce constat que pouvons-nous faire ?

La réponse n’est pas à rechercher dans la tentative vouée à l’échec de trouver une espèce ou une variété miracle qui puisse pousser dans n’importe quelle condition de température et sans eau. Comme toujours, la meilleure réponse consiste à mobiliser plusieurs leviers, à choisir en fonction de nos systèmes.

1 – Préserver le potentiel des prairies

La flore des prairies évolue en fonction du milieu (facteur subi) et des pratiques d’utilisation de l’herbe (facteur choisi). La plupart des graminées fourragères productives ont un système racinaire assez superficiel (l’exemple le plus connu est le Raygrass Anglais). Elles sont donc les plus sensibles à la sècheresse et elles rentrent en phase de dormance quand les sols sont secs. Leur reprise aura lieu dès les premières pluies.

Le surpâturage, qui peut entraîner des conséquences moins graves au printemps et en hiver, doit être impérativement évité l’été. Inutile de faire tourner les vaches sur des parcelles desséchées où l’herbe ne pousse pas et où le pâturage des vaches n’aura pour effet que celui d’affaiblir encore plus les pieds des bonnes espèces.

Une autre pratique à éviter est celle de faire revenir les animaux dès le début du verdissement au retour des pluies. Le pâturage à ce moment fini d’achever les plantes ayant survécu à la sècheresse et au surpâturage précédent. Les bonnes espèces (graminées à système racinaire superficiel) disparaissent et à leur place prolifèrent les plantes à rosette avec pivot racinaire, moins productive et appétentes. C’est le début du cercle vicieux qui mène à la dégradation de la prairie et du rendement.

2 – Diversifier les couverts

Le mélange classique Ray-Grass Anglais et Trèfle blanc est une bonne base, mais il nécessite l’introduction de diversité d’espèces et de variétés pour garantir une souplesse d’exploitation et une robustesse supplémentaire. Le mélange idéal est constitué de 3 espèces de graminées et 3 espèces de légumineuses, à choisir en fonction du milieu et du type d’exploitation envisagé. 3 typologies de plantes doivent être présentes dans le mélange choisi :

  • Les grandes espèces : dactyle, fétuque, fléole. Ce sont des plantes qui font du rendement, qui poussent en « verticale », assez concurrentielles et dont la densité doit être maitrisée à l’implantation pour qu’elles ne prennent pas trop le dessus.
  • Les espèces gazonnantes : trèfle blanc, Ray-Grass Anglais et pâturin des prés. Ces espèces poussent à « l’horizontale » puisqu’elles marcottent. Elles peuvent occuper l’espace laissé libre par les autres espèces si leur biologie est respectée par des pratiques de fauche et de pâturage optimales.
  • Les légumineuses, le moteur azoté pour :
    • Assurer la production de printemps trèfle hybride et trèfle violet ;
    • Améliorer la productivité de la prairie en été luzerne et lotier corniculé.

Dans les conditions de sécheresse extrême et de chaleur qu’on peut subir en été ces espèces rentrent en dormance. Elles ne seront pas en mesure de produire plus que les autres dans de telles conditions, mais elles sont en mesure de reprendre plus vite la production dès les premières pluies.

Les essais menés avec le GIEE des producteurs de lait AOP Normand sur différentes typologies de prairies multi-espèces montrent qu’il n’y a pas de différence de productivité entre les modalités pendant la période estivale. Cependant, le bon choix des espèces permettra une reprise plus rapide en fin d’été.

Les espèces qui ont le meilleur comportement à cet égard sont :

  • Fétuque,
  • Dactyle,
  • Trèfle violet et luzerne,
  • Et en espèces alternatives : chicorée et plantain.

Les expérimentations menées montrent qu’avec une composition qui tient compte de ces éléments on peut gagner entre 1 et 1,5 TMS/ha sur une campagne.

Les essais de l’INRA de Lusignan montrent aussi que la diversité des espèces doit être complétée par une diversité de variétés au sein de la même espèce, notamment en jouant sur les différences de précocité et de ploïdie, qui permettent un décalage des productions. Les essais montrent que ce levier permet d’améliorer la résistance estivale et de stabiliser l’équilibre des espèces dans le temps.

3 – Le report sur pied

Pour garder de la valeur alimentaire (surtout MAT) d’un stock sur pied, les parcelles doivent être :

  • Fauchées une première fois (le stock se fait sur les repousses) ;
  • Composées essentiellement de légumineuses ;
  • en sol assez profond (on ne fait pas de stocks sur des parcelles très superficielles).
4 – Le pâturage de la luzerne

La luzerne est sensible au piétinement et favorable à la météorisation, mais en été les deux problèmes sont moins graves. Le pâturage peut commencer au stade début floraison.

5 – L’implantation de dérobées d’été

Les plantes C4 (dont le maïs est un exemple bien connu) sont capables de produire de la biomasse en économisant l’eau en été. Le choix d’espèces plus affines à la chaleur que le maïs pourrait amener une amélioration de la production de biomasse sur des périodes d’interculture très court comme après une récolte de méteil fourrager en juin. La réussite est tout de même extrêmement liée à la disponibilité en eau à la levée. Les espèces les plus intéressantes sont le sorgho, le moha, le millet et le Teff grass. Elles sont toutes pâturables mais attention au sorgho qui est toxique en pâturage sur des hauteurs inférieures à 70 cm.

6 – Sécuriser l’implantation des prairies par un semis sous couvert en octobre

La technique la plus efficace consiste à semer la prairie en surface en deuxième passage après un semis de méteil céréalier. Il vaut mieux semer les deux à dose pleine mais dans ce cas il est impératif de récolter le méteil en fourrage, pour redonner vite lumière et air à la prairie qui démarre.

7 – Améliorer la fertilité biologique des parcelles

La matière organique peut retenir jusqu’à 20 fois son poids en eau. Augmenter le taux de matière organique de la prairie par l’apport de compost pourra donc permettre d’augmenter sa réserve utile (au-delà évidemment de l’intérêt de la valeur fertilisante surtout en P et K de cette typologie d’effluent). De plus, une bonne structure du sol et la présence de nombreuses galeries de vers de terre facilitera la pénétration de l’eau à la fin de la période de sécheresse. Sans cette porosité l’eau risque autrement de ruisseler en surface sans rentrer, notamment sur les parcelles en pente (même légère).

Des travaux sont en cours partout en France pour tester ces leviers et fournir des repères. Ils peuvent déjà être des guides pour orienter les pratiques sur les exploitations de Normandie soumises aux aléas climatiques.

 

 

Maddalena MORETTI

Conseillère Référente Agriculture Biologique

maddalena.moretti@littoral-normand.fr  

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